Culture durable

La fraise sur substrat de laine de roche

Harriette Rademakers
26 septembre 2020

Des essais pour définir un nouveau concept de productionLa culture de fraise sur substrat de laine de roche est un mode de production émergent qui a déjà fait l’objet de quelques essais en production. Cette technique prometteuse qui offre de nouvelles perspectives pour la culture hors-sol du fraisier doit encore évoluer afin de mieux exploiter toutes ses potentialités. Des essais conduits depuis ce printemps sur la station de recherche BerryNova dans le Brabant livrent leurs premiers résultats et dessinent de nouvelles pistes de travail…

Le groupe néerlandais Genson, spécialiste des petits fruits et producteur de plants de fraisiers, a récemment mis en place des essais de culture de fraise sur substrat de laine de roche sur sa station de recherche BerryNova située à Sint-Oedenrode dans le Brabant. Le groupe Genson a confié le suivi de ces essais à Floraison Plant Research, entreprise de R&D créée par Elke Schellekens, spécialiste des petits fruits. Au travers des premiers résultats, cette dernière confirme l’intérêt de ce nouveau concept qui certes reste à affiner sur le plan technique, mais qui promet d’ores et déjà de belles marges de progrès pour la production de fraise hors-sol.

Les essais de station de recherche BerryNova occupent deux tunnels et sont comparés aux cultures sur coco mises en place dans les tunnels adjacents. Les variétés non remontantes sont plantées selon une densité de 6 plants par mètre, pour 4 goutteurs. Pour les variétés remontantes, la densité est de 10 plants par mètre, pour 6 goutteurs. Le programme de fertilisation est le même que celui habituellement utilisé dans les essais de la station d’expérimentation Genson, avec une conductivité de 1,2 dans le cas des variétés non remontantes et de 1,4 dans les cas des remontantes. Selon les conseils de Grodan, les essais ont été conduits sur des pains monocouches, c’est à dire des pains de structure uniforme. Ce choix a été dicté dans l’objectif de favoriser un enracinement vertical le plus rapide possible. La stratégie d’arrosage et la gestion de l’EC en début de culture sont également adaptées pour inciter les racines à aller chercher l’eau en profondeur. Grodan a établi ces préconisations en se basant sur sa longue expertise des cultures hors-sol, mais aussi sur les premiers retours d’expériences de cultures de fraise sur laine de roche déjà effectuées en France et dans la station expérimentale de Hoogstraten (Pays-Bas). Pour gérer correctement les principaux paramètres de culture, l’essai a été équipé un système de mesure GroSens dont les capteurs mesurent en continu l’humidité, l’EC et la température dans le pain.

 

Un nouveau concept de production

2020 est l’année idéale pour évaluer l’intérêt du substrat en laine de roche pour la culture du fraisier. En effet, la région du Brabant a connu fin juin une vague de chaleur particulièrement précoce, suivie d’une période plutôt fraîche. Dans ces conditions, les besoins en eau de la plante et la conductivité du substrat ont beaucoup fluctué sans pour autant pénaliser le résultat final de la culture. « Pour les variétés remontantes (Malling Centenary), le rendement en fin de culture des plantes sur laine de roche est sensiblement équivalent à celui sur substrat organique (coco), avec globalement des fruits de belle présentation et de bonne qualité gustative pour les deux modalités, mais avec un léger avantage en faveur du coco pour ce qui concerne le pourcentage de catégorie I. En revanche, dans le cas de variétés non remontantes (Malling Champion), la modalité sur laine de roche a permis d’obtenir des rendements plus élevés avant la mi-juillet (jusqu’à la semaine 29 incluse), et ce malgré une plantation plus tardive », explique Elke Schellekens. Selon elle, ces premiers résultats démontrent que la culture de fraise sur substrat en laine doit être abordée comme un tout nouveau concept de production, qui nécessite une conduite de l’irrigation et de l’EC adaptée. « C’est un concept qu’il faut apprendre à maîtriser mais qui laisse d’ores et déjà percevoir de belles perspectives », ajoute-t-elle.

1/1

Gérer les irrigations et l’EC

« En début de culture, nous avons maintenu un taux d’humidité compris entre 70 et 75 %, pour descendre ensuite entre 60 et 65 % avec toutefois la crainte de passer en dessous de la barre des 60 % en cas de fortes chaleurs et de ne pas pouvoir remonter », expliquait Elke Schellekens fin juin, avant la période de canicule de début juillet. Pourtant, elle a parfaitement su gérer les irrigations durant cette période. « Nous avons passé du temps à chercher les bons paramètres, mais nous y sommes arrivés alors que nous avons connu des conditions exceptionnelles, avec notamment un rayonnement de 100 joules en début de période. Le matin, nous démarrions avec une première irrigation plus importante que les suivantes dès que le taux d’humidité baissait de 2 %. Selon la météo, deux ou trois autres irrigations de forte intensité pouvaient être nécessaires pour revenir au taux d’humidité souhaité, suivies éventuellement de quelques irrigations de rattrapage, plus courtes, pour maintenir le bon niveau. »

Les capteurs GroSens ont facilité la surveillance des différents paramètres mais n’ont pas permis dans le cadre de cet essai de commander directement les irrigations. « Une connexion entre les deux systèmes pourra permettre à l’avenir de déclencher les irrigations pour corriger automatiquement les baisses du taux d’humidité et affiner la gestion de la teneur en eau dans le substrat », ajoute Elke Schellekens.

Il a fallu aussi adapter la gestion de l’EC. Sur substrat coco, une conductivité de 2 qui traduit une forte accumulation d’ions, a un effet négatif sur les plantes, en particulier dans le cas de variétés remontantes plus sensibles à de fortes concentrations. Dans le cadre de l’essai sur laine de roche, l’EC est montée jusqu’à 2,9, probablement en raison des fortes variations des conditions météo de ce début d’été. « Et pourtant, nous n’avons pas constaté d’effet négatif sur la culture », souligne Elke Schellekens. « Certes, il a fallu un temps d’adaptation pour apprendre à gérer l’EC en condition de culture sur laine de roche. L’expérience nous a appris à nous baser sur les valeurs d’EC mesurées en continu au niveau du système racinaire, et non sur la moyenne quotidienne de l’EC mesurée au niveau des eaux de drainage. »

Une fertilisation adaptée

Cet essai a également permis de tirer quelques enseignements en matière de fertilisation. En observant tout au long de la durée de l’essai une petite proportion de fruits déformés dans le cas des variétés remontantes, Elke Schellekens s’interroge sur la nécessité d’intervenir au niveau de la fertilisation potasso-calcique. En effet, on sait  que le coco bloque certains éléments. Avec la laine de roche, la disponibilité des nutriments est totale ce qui peut entraîner une modification des équilibres, et donc des risques de carence ou de toxicité. Pour avancer sur ce sujet, Elke Schellekens vient de mettre en place sur un nouvel essai un protocole adapté. Ce dernier comprend des mesures de sève et des analyses régulières de la solution nutritive et des eaux de drainage. Ce travail sur la fertilisation va se poursuivre à plus grande échelle la saison prochaine.

Pour Hans Baekelmans, en charge du programme fraise chez Grodan, la culture sur laine de roche ouvre de belles perspectives pour la production de fraise. « En pilotant la culture à partir de mesures réalisées au niveau du pain et du système racinaire, en adaptant le concept Precision Growing aux besoins physiologiques du fraisier, les rendements sont en mesure de progresser, à condition bien sûr d’être en situation de cultures protégées. Les marges de progression seront d’autant plus marquées que la durée de la culture est longue. Ainsi, il est probable que les effets positifs de la laine de roche seront plus visibles dans le cas de variétés non remontantes, comparativement à des cultures de variétés remontantes qui ne produisent que durant 8 semaines. Par ailleurs, Hans Baekelmans explique que des travaux sur la rationalisation des apports en eau et en produits phytosanitaires sont en cours pour optimiser la culture du fraisier sur laine de roche. Dans ces conditions, l’intérêt de l’éclairage des cultures est également à l’étude.

Plus en amont, la production des plants doit elle-même évoluer et s’adapter. En 2019, des essais de bouturage avec enracinement direct au niveau du cube en laine de roche ont été suivis par Elke Schellekens pour évaluer la capacité du substrat à faciliter une production de plants de qualité. Une fois racinés, les plants ont été placés en extérieur, conformément au schéma traditionnel de production de plants des variétés remontantes. Dans ces conditions, le concept de Precision Growing et la maîtrise des paramètres de culture ne peut s’appliquer à la production des plants. Pour autant, l’analyse au microscope des boutons floraux a montré un potentiel de floraison équivalent entre les plants en cube de laine de roche et les autres types de plants. D’autres études sur la production de plants de fraisiers en cube de laine de roche sont en cours à  la station expérimentale de Hoogstraten.

Globalement, les premiers essais de culture de fraise sur laine de roche sont très encourageants. Les résultats des variétés remontantes sont assez proches de ceux des cultures sur coco. En revanche, dans le cas des variétés non-remontantes, le gain en rendement est assez net mais s’accompagne aussi d’une légère hausse de fruits déformés. Les pistes de travail repérées grâce à ces premiers essais vont permettre de mieux maîtriser ce nouveau mode de production pour qu’il exprime tout son potentiel.